mercredi 3 août 2011

Le programme faiblard de Jean-Michel Baylet

         
          Le moins connu des candidats à la primaire socialiste d'octobre 2011, Jean-Michel Baylet, a beau s'affirmer radical de gauche (il est depuis quinze ans le président du parti du même nom), le programme qu'il a, avec son équipe, concocté pour l'élection présidentielle de 2012, retient peu de choses de la tradition humaniste, républicaine et patriote des idées radicales.

"Ne pas refuser la réalité d'une économie définitivement mondialisée"

          Quatre-vingt-dix pages, accessibles sur le site internet du PRG, résument la vision du monde de M.Baylet, héritée presque entièrement de la "deuxième gauche", cette fameuse tendance du Parti socialiste qui, sous l'égide de MM. Rocard, Delors ou Bérégovoy, convainquit en 1983 François Mitterrand de renoncer à relancer la croissance par la consommation, pour favoriser les entreprises, le capital plutôt que le travail. Cette conception très libérale du rôle de l'Etat, son opposition à toute intervention supplémentaire substantielle comme à un protectionnisme pourtant nécessaire pour sauver nos ouvriers et nos agriculteurs, incitent M. Baylet à accepter sans rechigner la mondialisation, à "ne pas refuser la réalité d'une économie définitivement mondialisée" (page 13). Dans les années 20, Edouard Herriot, président du Parti radical-socialiste, s'insurgeait contre "le mur d'argent" symbolisé par les milieux bancaires et financiers. A croire que les temps ont bien changé... De fait, selon M. Baylet, on ne saurait, en 2011, défendre "les intérêts d'un secteur public hypertrophié et intangible"... Ainsi, homme du consensus, il ne propose pas de changement réel de politique économique, pas de nationalisations : est-il seulement réformiste?

          De même que son programme économique va à l'encontre des espoirs des Français, de même les agriculteurs, extrêmement affaiblis par la crise, ne sont pas gâtés par les idées du PRG : non seulement les aides financières seront soumises à l'adoption de normes environnementales extrêmement strictes, mais l'aide apportée par l'Union européenne aux grands exploitants doit selon M. Baylet être remise en question : "Il convient également de lutter contre les effets pervers de subventions européennes hautement profitables à des exploitations quasi latifundiennes". Enfin, comme si l'existence de nos agriculteurs n'était pas assez difficile, le PRG propose d'encourager "la formation du conjoint lui permettant d'avoir une activité hors agriculture, venant compléter les revenus agricoles", alors que bien souvent les épouses doivent aider à la traite, à la moisson, ou à la maison. Pourtant l'Etat a des responsabilités morales vis-à-vis des agriculteurs, grâce auxquels notre sécurité alimentaire est assurée. Par un contrôle sévère des marges de la grande distribution, par un protectionnisme rigoureux empêchant la concurrence déloyale des autres Etats, notamment européens, enfin par une augmentation des impôts des plus riches destinée à améliorer les conditions de travail de ceux qui les nourrissent, l'Etat se doit de montrer son attachement aux agriculteurs.

"La valorisation des compétences, au lieu des connaissances"

          Dans le droit fil, encore une fois, de la "deuxième gauche", et surtout parce que cela est dans l'air du temps, M. Baylet, bien qu'il affirme vouloir faire de l'éducation et de la culture des priorités, affirme une vision opposée en tous points à l'idéal républicain d'une école élitiste, antidémagogique, axée sur les humanités.
Ainsi, plutôt que d'insister sur l'acquisition de notre culture immémoriale, par pur pédagogisme, il veut avant toute chose "inscrire les textes d'auteurs contemporains dans les manuels scolaires". Une façon de mettre en confiance les enfants? La suite de son programme prouve, hélas, que c'est bien plutôt une véritable infantilisation des élèves que le PRG veut mettre en place, par exemple en voulant "changer le fonctionnement des conservatoires de musique pour promouvoir une pratique ludique, notamment en développant un accès à l'instrument sans solfège". En somme, pas de théorie, que de la pratique. Cette idéologie de la facilité, héritée pour le coup de mai 68, vaut d'ailleurs pour toutes les générations : la "démocratisation de l'accès à l'ENA" passe ainsi par "la valorisation des compétences, au lieu des connaissances, dans le concours interne". L'élitisme des classes préparatoires, symbole de l'exception française, n'est pas, semble-t-il un motif de fierté pour le PRG, d'où la proposition de "mettre les moyens de l'Université, au moins, à parité de ceux des Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles", comme si une licence de psychologie équivalait à la préparation à l'ENS...

"Dépénaliser la consommation privée de drogues douces"

          On pouvait espérer, de la part d'un parti jadis sérieux, des prises de position raisonnables sur les questions de société. Malheureusement, la démagogie est là encore de mise. Outre le droit à l'adoption pour les homosexuels mariés, M. Baylet compte bien "dépénaliser la consommation privée de drogues douces", de même qu'il propose, par jeunisme, un "statut du jeune élu au niveau européen afin de permettre la mixité civique". Il est vrai que la question des "minorités" taraude le PRG. A une époque où, selon lui, "les droits à la différence (...) ou les droits des minorités sont mis à mal", dans la filiation de la "deuxième gauche", il entend bien mettre en avant l'autonomie des communautés de base, dans le sens inverse de l'idéal universaliste défendu par les radicaux et républicains historiques, comme l'est M. Chevènement. Plutôt qu'une culture nationale, ciment de l'intégration à la communauté française, Jean-Michel Baylet préfère "valoriser les cultures régionales", en estimant que "l'enseignement des langues régionales doit être soutenu". De même, un certain nombre de mesures, dont nous ne développerons pas ici le contenu, invitent les employeurs à engager en priorité des "jeunes" -sans doute est-ce aussi une minorité...

L'Europe doit "parler d'une seule voix"

          Enfin, M. Baylet se veut avant toute chose européen. "Le temps est venu de passer de l'Union Européenne à l'Europe Fédérale", claironne-t-il, avant de fustiger l'Europe des Nations, lui préférant la subordination des politiques nationales aux décisions du Parlement européen. "L'existence d'un système législatif européen repose sur deux principes, deux "piliers" : l'effet direct des normes européennes et la primauté de celles-ci sur les droits nationaux". Autrement dit, le PRG ne considère pas la souveraineté française comme quelque chose de primordial, au moment même où des recors d'abstention sont battus aux scrutins européens, signe d'un rejet fort de l'Europe fédérale qu'il entend instituer. D'ailleurs, la France pourrait bien ne pas avoir son mot à dire dans les décisions à venir : en effet, le PRG prône "l'abandon de la règle de l'unanimité au profit d'une majorité qualifiée, notamment pour les réformes institutionnelles et les adhésions d'Etats". A l'heure où les dissonances sont permanentes, tant au niveau économique qu'au niveau diplomatique, M. Baylet veut développer l'armée commune à l'Union, de sorte que l'Europe puisse "parler d'une seule voix". A-t-il oublié la cacophonie de la guerre en Irak?

          Réfomisme prudent, décentralisation s'effectuant au détriment de la cohésion nationale, affaiblissement de la souveraineté française dans le cadre de l'Europe fédérale, politique culturelle démagogique, pédagogisme... ; autant de fautes qui font presque oublier le seul vrai point positif du programme de M. Baylet : la défense (cette fois dans la plus pure lignée radicale) de la laïcité. En proposant la création d'un "Observatoire de la laïcité" chargé d'un rapport annuel sur le respect de la loi de 1905 en France, ou encore l'abrogation définitive de l'article 89 de la loi d'août 2004, le président du Parti radical de gauche fait honneur à sa position. Il n'en reste pas moins que la faiblesse de son programme désarçonne le lecteur, venant d'un homme de gauche. M. Baylet n'est, de toute évidence, pas un enthousiaste, et il n'est guèreétonnant que son nom soit jusqu'à présent resté inconnu. Ce n'est pas de la démagogie qu'attend le peuple ; c'est un programme à la fois humaniste, lucide et confiant dans le destin de notre pays. M. Chevènement reste le seul à porter un tel projet.




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